« Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic. On les avale sans y prendre garde. Ils ne semblent faire aucun effet. Et voilà qu’après quelque temps, l’effet toxique se fait sentir. Livres, journaux, courriers administratifs et formulaires d’un service, tout nageait dans la même sauce brune et par cette homogénéité absolue de la langue écrite s’expliqua aussi l’uniformité de la parole. »
Victor Klemperer  

Cette citation de Klemperer qui se réfère au Troisième Reich nous semble un bon point de départ pour penser la langue d’aujourd’hui. Des expressions déshumanisantes, voire fascisantes, se sont installées dans nos bouches, du moins dans nos oreilles, sans qu’on y prenne garde. Or, les mots construisent et influencent directement notre manière de penser et d’agir : en normalisant l’adoption de ces termes, petit à petit, on les valide, on en accepte les arrière-fonds tout comme les manières de penser et d’agir spécifiques qu’ils véhiculent. Il nous semble dès lors important d’identifier ces toxines qui se propagent aujourd’hui de façon intensive dans les discours politiques, médiatiques, et jusque dans nos conversations privées.
Le caractère commun, ordinaire, de ces formules nous semble être l’aboutissement d’un processus d’extrême droitisation du discours. Que voulons-nous dire par là ? Avant tout que l’idéologie d’extrême droite percole dans les esprits, y compris chez ceux qui y semblent a priori imperméables. Il n’est ainsi pas rare de l’observer « à gauche ». Quand les formules que l’on utilise entrent en résonance avec l’extrême droite c’est qu’il est (grand) temps de se poser des questions. Le sexisme, le racisme, la xénophobie, la transphobie, etc., sont loin d’être l’apanage de cette dernière, puisqu’il s’agit de systèmes de domination structurels, mais le fait que beaucoup – à gauche notamment – refusent de le voir et d’en tirer les conséquences dans leurs positionnements donne à l’extrême droite un boulevard pour imposer ses idées.