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"Ce n’est pas de la maltraitance, c’est plus que ça." - Récit de neuf mois d’épidémie par une soignante en maison de repos

Une analyse de Martine, Noëmie Cravatte et Gilles Grégoire

Analyse

[Noëmie Cravatte : ] J’ai rencontré Martine* le 13 septembre 2020, dans le train qui nous conduisait à la manifestation nationale de La santé en lutte. Après des mois d’héroïsation des travailleuses et travailleurs de la santé, il s’agissait d’être à leurs côtés dans la rue pour soutenir leurs revendications qui avaient, « grâce » à cette pandémie, pris des allures de bon sens élémentaire. Martine est elle-même une de ces travailleuses de la santé puisqu’elle travaille comme aide-soignante dans une maison de repos dans un petit village en Wallonie. Tout au long de notre trajet vers Bruxelles, elle m’a parlé de son métier et particulièrement de ce qu’elle a vécu depuis le début de cette pandémie. Le traumatisme que Martine et ses collègues ont dû affronter – seules ou presque – est palpable et a laissé des traces.
Son témoignage est terrible et elle craque par moments en le racontant. Je l’ai écouté, ahurie, et le cœur en morceaux.

Dans les jours et les semaines qui ont suivi, le récit de Martine a continué de m’habiter. Il se retrouva au centre de beaucoup de mes discussions.
J’ai réalisé que j’étais loin d’être la seule à ignorer largement la réalité dans les maisons de repos en Belgique. J’ai donc proposé à Martine de l’interviewer, ce qu’elle a accepté.
Quand l’interview eut lieu, plusieurs mois plus tard (en janvier 2021), le rapport de la plupart des gens à la Covid avait déjà changé. La maladie en tant que telle, ainsi que le sort des malades et des soignant·es semblaient être moins au centre des préoccupations que les mesures sanitaires elles-mêmes. Alors qu’en dire aujourd’hui, à l’heure où les mesures sanitaires ont quasiment disparu ? Et que, bien qu’on ne puisse pas en dire autant de la Covid, tout ce qui s’y rapporte est maintenant évoqué au passé.
Tout le monde – médias et gouvernements compris – ou presque, semble bien déterminé à tourner cette page noire, quitte à forcer un peu le processus et détourner les yeux des quelques 1 500 personnes toujours hospitalisées en Belgique et des enjeux du retard médical que cela engendre pour l’ensemble des personnes en attente de soin.

Pourquoi publier cette interview deux ans après les faits ? Avant tout, pour que des récits comme celui de Martine ne tombent pas dans l’oubli. Parce qu’il est absolument nécessaire de parler du traitement littéralement inhumain que les personnes âgées et les soignant·es ont enduré pendant la première vague (et après). Il faut faire connaître et se souvenir de ces histoires qui n’ont pas été entendues au moment le plus critique.
Ensuite, parce que, à l’évidence, rien n’est résolu aujourd’hui. Les récentes révélations du mode de fonctionnement odieux des maisons de repos Orpea et Korian en France (deux groupes d’ailleurs bien implantés en Belgique) démontrent que l’enjeu est structurel. Dans les maisons de repos, peut-être encore plus qu’ailleurs, la Covid a révélé une problématique préexistante : l’abandon généralisé par les pouvoirs publics de l’enjeu du soin aux personnes âgées.
Le récit de Martine se veut être le reflet d’une réalité qui n’a que trop duré et qui, je l’espère, pourra participer à souligner la nécessité de (re)faire de la place des personnes âgées et de celles qui en prennent soin un enjeu collectif prioritaire.

* Prénom d'emprunt.

Thème: 
Divers